Exaltation du silence

Le silence

Je veux partager avec vous quelques pensées concernant le silence. Quand je parle de silence, il ne s’agit pas d’un silence subi ou privatif, mais d’un silence conscient et volontaire. Cela n’a pas trait à la passivité mais à silence « actif ».
Beaucoup pensent que les spiritualités orientales consacrent une bonne part au silence, alors que le christianisme serait plus une religion de parole.
Voici quelques pensées tirées de la Bible qui vont prouver le contraire et nous permettre de retrouver la quintessence de la spiritualité qui en est issue :

Une invitation à écouter

Le Sh’ma Israël  (Écoute Israël) est sans doute la prière juive la plus célèbre. C’est une véritable profession de foi qu’on compare souvent au credo chrétien. On le trouve dans le livre du Deutéronome (1). Dans ce même livre, un verset explique encore mieux le « Sh’ma » :
… Israël, fais silence et écoute !… (2)
Ce verset est un complément important au « Sh’ma Israël » car il y a un prérequis à l’écoute : le silence ! La raison d’être du mot sh’ma n’est pas d’être récitée mais d’être prise au mot. C’est une invitation à écouter !

Dans un autre passage, le jeune Samuel, éduqué par le prêtre du temple de Silo, apprend à répondre à l’appel de Dieu résumé par ces paroles :
Parle, Seigneur, ton serviteur écoute (3)
Pour entendre Dieu, le prérequis reste le même : écouter.

Ailleurs, Dieu fait une offre à Salomon : « Demande-moi ce que tu veux. » Salomon lui demande alors la sagesse et l’intelligence. Voilà l’origine de la sagesse légendaire de Salomon (4).
Dans le premier livre des Rois, nous avons un complément d’information non négligeable. À la proposition de Dieu, Salomon aurait répondu : « Donne-moi un cœur qui écoute. » (5)
Un cœur qui écoute est l’origine de la sagesse et de l’intelligence. A noter qu’en hébreu, on retrouve le même verbe que pour le Sh’ma Israël.

Qol Demama Daqqa

Dans le premier livre des Rois, le prophète Élie, après avoir constaté que Dieu n’était pas dans le vent fort et violent, ni dans le tremblement de terre et ni dans le feu,  entend « un bruit de fin silence » (en hébreu Qol Demama Daqqa, « La voix, ou le son (qol) d’un silence (demama) subtil (daqqa) ») et sait que Dieu est là et se couvre. (6)
Revenons au Qol Demama Daqqa :
Qol signifie « voix » et aussi « vibration »
Demama vient de la racine dama qui signifie « s’arrêter ». Et n’est-ce pas la caractéristique principale du son du silence que d’être toujours là, parfaitement continuant, continu par rapport à notre attention qui d’habitude va et vient ?
Daqqa veut dire « mince, fin comme la poussière ». Il vient de daqaq, « réduire en poudre ». A force de pratiquer le silence conscient, on réduit le silence en poudre, on en extrait une quintessence toujours plus pure.
Il se trouve que l’histoire d’Élie est soigneusement composée du point de vue littéraire. Si par exemple, on compte le nombre de lignes du texte hébreu, le Qol Demama Daqqa se trouve juste au milieu du texte.

Il est bon d’attendre en silence

Le livre des Lamentations conseille : Il est bon d’attendre en silence le salut du Seigneur. (7)
En silence et non dans la plainte et la revendication.

Suivent plusieurs versions d’un même verset des Psaumes, qui sont comme la lumière diffusée par la réfraction d’un diamant.

Arrêtez, et sachez que je suis Dieu… (8)
Tenez-vous tranquilles, et sachez que je suis Dieu  (9)
Lâchez les armes ! reconnaissez que je suis Dieu ! (10)
Lâchez prise et sachez que je suis Elohim… (11)
Cessez de vous battre ! Jetez vos armes ! (12)
Prenez du loisir et voyez que je suis Dieu… (13)
Faite donc une pause et vous pourrez comprendre que c’est Moi qui suis Dieu… (14)
Détendez-vous et sachez que je suis Dieu… (15)
Abandonner votre anxiété, soyez silencieux et arrêtez de vous exténuer, et vous verrez que je suis Dieu… (16)
Le verbe « arrêter, cesser…» est le verbe hébreu raphah (hifil) il signifie : « laisser aller, être tranquille, abandonner ».
Le verbe savoir est le verbe hébreu yada’. Il signifie : « savoir, connaître par expérience, percevoir ».

Extraits d’autres Psaumes :

Oui, c’est vers Dieu que mon âme (se tourne) en silence ; de lui vient mon salut. 
Oui, mon âme, fais silence devant Dieu ! Car de lui vient mon espérance. (17)
Dans la littérature, le premier verset est souvent cité sous cette forme : Vibre de silence, ô mon âme, vers Dieu. Le silence lié à une vibration, c’est tout un programme!

Le verset suivant est plus étonnant :
Pour toi le silence est louange (18)
c’est une louange sans mot, sans note et donc sans limite.
Le silence est « un » par nature ; ce sont les bruits, les sons, les mots qui dispersent et fragmentent notre conscience.

Une parole d’Isaïe :

… votre force sera dans le silence et dans l’espérance. (19)
… la quiétude et la confiance qui seront votre force(20)
… votre héroïsme sera dans le calme et l’assurance(21)
J’ai cité ces trois traductions, qui montrent différents reflets du mot hébreu shaqat, signifiant « être en repos, ne pas être dérangé, montrer de la quiétude, tranquilité, silence, tranquiliser, pacifier ».

Réflexions sur la relation entre l’illumination et le silence :

Avec le silence, on se prépare à l’écoute, et donc à la réception de « paroles »
Le psalmiste dira : Le jaillissement de tes paroles éclaire… (22)

Jean Climaque (579-649), un moine syrien écrivit dans son célèbre ouvrage L’Échelle sainte :
L’ami du silence devient proche de Dieu. Dans le secret, il s’entretient avec lui et reçoit sa lumière. 
(23) 

À sa suite, Isaac de Ninive, appelé également Isaac le Syrien, (~640 – ~700, écrit aussi :
Aime le silence plus que tout autre chose ; il t’apporte un fruit que la langue est impuissante à décrire. D’abord, c’est nous qui nous contraignons à nous taire. Ensuite de notre silence naît quelque chose qui nous attire au silence. Que Dieu te donne de percevoir ce qui naît du silence. Si tu commences par cette discipline, je ne sais quelle lumière va jaillir par lui sur toi. (24)

Que ce témoignage et cette exhortation d’Isaac deviennent notre expérience personnelle.

POUR TOI LE SILENCE EST UN CHANT DE GLOIRE… (25)

(1)  Livre du Deutéronome
(2)  Livre du Deutéronome 27:9
(3)  1er livre de Samuel 3:10
(4)  2nd livre des Chroniques 1:7-12
(5)  1er Livre des Rois 3:9
(6)  1er livre des Rois 19:11-13
(7)  Livre des Lamentations de Jérémie 3: 26
(8)  Psaume 46:10 version Louis Segond
(9)  Psaume 46:10 version J.N. Darby
(10) Psaume 46:10 version T.O.B.
(11) Psaume 46:10 version Patrick Calame
(12) Psaume 46:10 – Stan Rougier, Entre larmes et gratitudes.
(13) Psaume 45:11 – version du Psautier des LXX de Placide Deseille (traduit du grec)
(14) Psaume 45:11 – version du Psautier liturgique orthodoxe d’Anastasia (traduit du slavon)
(15) Psaume 45:11 – version LXX anglaise, traduit par mes soins
(16) Psaume 46:10 The Passion Translation, traduit par mes soins
(17) Psaume 62:1, 5
(18) Psaume 65:1 versions Nouvelle Bible Segond, Colombe, Chouraqui, N. Kohn, Patrick Calame
(19) Livre d’Isaïe 30:15 version Auguste Crampon 1895)
(20) Livre d’Isaïe 30:15 version du Rabbinat  de Zadoc Kahn 1966)
(21) Livre d’Isaïe version André Chouraqui, 1977)
(22) Psaume 119:130 version Patrick Calame, 2001 confirmée par la version interlinéaire de Frank Lalou 2000)
(23) Jean Climaque, l’Échelle Sainte, (11ème degré, 3-5)
(24) Isaac le Syrien, Oeuvres spirituelles – Les 86 Discours Ascétiques, Les lettres, Paris : Desclée de Brouwer,1981, p.213
(25) Psaume 65:2 – Henri Meschonnic, Gloires – Traduction des Psaumes, Paris : Desclée de Brouwer, 2001 p.179

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Cet article a 6 commentaires

  1. Kat

    Magnifique merci

  2. Stéphane

    Salut Patrick,

    Connais-tu « La force du silence » un livre du cardinal Robert Sarah ? Je ne l’ai pas lu, mais peut-être peut-il compléter ton travail.

    C’est dans le calme et le silence que tu trouveras ta force. Isaïe

    Toi qui recherches des écrits puissants et forts en matière de spiritualité chrétienne, je te conseille de t’intéresser à Léon Bloy (1846/1917) (que tu connais peut-être déjà ?). Considéré comme le prophète des pauvres, il disait : l’argent, c’est le sang du pauvre. Son écriture est subtile, compliquée, extrémiste et passionnante. Un catholique des catacombes, mystique intégral.

    Belle journée et que Dieu te garde

    Stéphane

    1. Paddy

      le livre du cardinal Robert Sarah, je connais (ou plutôt j’ai lu un article dessus avec une interview dans une revue) c’est complètement dans la ligne.
      Par contre Léon Bloy, je ne connais pas, merci du tuyau.

  3. Stéphane

    Bonjour Patrick,

    Pour compléter le sujet sur le silence choisi qui nous mène à nous tourner vers nous et donc vers Lui, voici un documentaire que tu connais peut-être déjà sur les Chartreux et leurs quêtes de silence. https://www.youtube.com/watch?v=90w_LQg0Kik

    Puis voici les paroles lumineuses d’une sœur de l’abbaye de Saint-Marie de Boulaur :

    « Le silence c’est un aspect essentiel de notre vie parce que c’est ce qui permet en fait à notre vie intérieure de se développer. Le silence c’est le lieu idéal pour une rencontre avec le Seigneur, parce que le Seigneur vient nous rencontrer dans notre cœur, au plus profond de nous-mêmes… C’est aussi la possibilité pour nous de nous mettre à l’écoute de la parole de Dieu. Le Seigneur montre son Fils en nous disant “voilà mon Fils bien-aimé, écoutez-le”. Le silence permet à la parole de résonner en nous, et de porter du fruit en nous, au fond de nous habiter. Nous avons un travail manuel, c’est aussi le propre de notre vie monastique, le travail manuel occupe nos mains et libère notre pensée, justement pour que ce silence permette à la parole de Dieu et au dialogue avec le Seigneur de résonner en nous, de prendre si possible toute la place. »

    Et elle conclut : « C’est un silence qui est plein de Dieu, rempli d’amour, ce n’est pas un silence de repli sur soi… »

    Bien à toi et belle journée
    Stéphane

    1. Paddy

      Super, merci pour la contribution