Va vers toi – Part. IV

Le lecteur profitera plus de ce dialogue en ayant pris connaissance des parties précédentes de cette série :
Part.I
Part.II
Part.III

DIALOGUES

Lekh lekha
Quoi ?
Va vers toi !

Ce n’est pas plus clair !
Marche, fais des pas, chemine, progresse vers toi. (1)

Moi ?
Oui, toi !

Je commence où ? je commence quand ?
Pars du point où tu es, du point où tu en es, il n’y a pas de qualification requise, ni de pédigrée spirituel. Pourquoi attendre ?

Pourquoi y aller ?
C’est dans ton intérêt, lekh lekha, qui est traduit « va vers toi », signifie aussi « va pour toi ».(2)
Si tu as besoin d’y aller c’est que tu n’y es pas !

Mais dans « va vers toi », c’est qui « toi » ?
Le toi profond, le toi réel, le toi véritable, le toi originel, le toi selon Dieu, le toi en devenir, Paul appelle ce nouveau « je » : Christ.
Dans une moindre mesure :
Abram a eu besoin d’aller vers Abraham ;
Jacob a eu besoin d’aller vers Israël ;
Simon a eu besoin d’aller vers Pierre ;
Saul a eu besoin d’aller vers Paul. (3)
À combien plus forte raison, toi, va vers ton nouveau « JE » !

Mais comment fait-on ?
« Va vers toi » signifie « retourne-toi », « détourne-toi de ton orientation extérieure » et « va vers l’intérieur de toi ».

Je ne comprends pas très bien le concept, peut-on le dire avec d’autre mots ?
Genoi oios essi mathôn !

???
Ce sont les mots de Pindare, un philosophe grec, adressés à Hiéron. Ils signifient littéralement « deviens qui tu es en l’apprenant ». (4)
Plus connus sous sa forme abrégée « deviens qui tu es » ou « deviens ce que tu es », repris par Martial, saint Augustin, Nietzsche, Kierkegaard et d’autres.

Devenir en apprenant ?
Exactement ! Les deux concepts ont été « distingués » ; le premier sera repris et développé notamment par Nietzsche. « Deviens qui tu es » est présent dans plusieurs de ses ouvrages.
Platon lui, mettant ces mots dans la bouche de Socrate, s’appuiera sur le second avec le fameux GNOTHI SEAUTON : « Connais-toi toi-même. » (5)

Mais « devenir ce qu’on est », ça ne veut rien dire !
Ces paroles ont été diversement comprises et reprises. Nietzsche l’a interprété ainsi : « transcende-toi et deviens un sur-homme… », mais là, nous sommes éloignés de la formulation originale.
De prime abord, il est vrai que « Deviens ce que tu es » présente un paradoxe temporel, qui est normal car la substance en transcende le temps.
Le verbe devenir est conjugué au présent mais il contient une projection vers le futur.
L’expression contient tant une référence au passé : deviens ce que tu es à l’origine ;
Qu’une une référence au présent : deviens ce que tu es vraiment ;
Et qu’une une référence au futur : deviens ce que tu es en devenir.
Ces trois références pointent vers un seul et même être.

D’accord pour cette première partie, mais la sentence précisait le moyen : en l’apprenant. Comment l’apprendre ?
Platon met l’accent sur le GNOTHI SEAUTON « connais-toi toi-même », devise gravée sur le fronton du temple d’Apollon de Delphes. (5)
L’expression complète serait : Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux.
Cette devise laisse entendre que nous ne nous connaissons pas réellement, que la connaissance de soi n’est pas une donnée immédiate de la conscience. Elle nous invite donc à entreprendre une recherche, une descente dans les profondeurs de notre intériorité pour trouver l’essence de notre être.

Comment faire ?
Il est écrit dans la Bible que c’est l’esprit de l’homme en lui qui connaît les choses de l’homme. (6)
Il est aussi écrit que l’esprit de l’homme est une lampe de Dieu éclairant les chambres intérieures du ventre. (7)
Si nous voulons nous connaître, connaître nos profondeurs, nous n’avons pas d’autre choix que la voie spirituelle qu’est l’intériorité. Se connaître soi-même est donc une invitation à un voyage spirituel intérieur, un « va vers toi ».

Donc le but à atteindre serait d’aller vers soi-même pour mieux se connaître, ce n’est pas un peu trop se centrer sur soi ?
La suite de la devise delphique (qui a très bien pu être rajoutée ultérieurement mais qui néanmoins est cohérente) contient : Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux.
Il est intéressant de constater que, dans la connaissance de ses propres profondeurs, on puisse puiser une connaissance de l’univers et une connaissance divine. Cela signifie qu’il y a un point de connexion, une porte d’accès, un carrefour où ces « connaissances » se rejoignent.
En se connaissant « extérieurement », en restant à la superficialité de notre être et à l’image que nous avons de nous-même ; En étudiant « l’extérieur » de Dieu via des écritures ou de la théologie, ou « l’extérieur » de l’univers via des études parcellaires de ce que l’on peut observer, nous restons dans une « connaissance » partielle et souvent « biaisée ».
En entrant dans nos profondeurs, nous avançons plus profondément dans une connaissance de nous-même, de Dieu et de l’univers. En voici la raison :

      • Nous y trouvons Christ car Christ est en nous (8) ;
      • En lui sont cachés tous les trésors de connaissance et de sagesse (9) ;
      • Dieu est en Christ (10) ;
      • Notre vie est cachée avec Christ en Dieu (11) ;
      • Toutes les choses des cieux et de la terre sont réunies, récapitulées, résumées, trouvent leur sens et leur cohérence en Christ. (12)

Notre regard sur toute chose s’en trouve donc transfiguré et notre compréhension sublimée. Une connaissance qui ne reste pas information ou observation mais pénétration. (13)
Nous ne pouvons pas rester les mêmes dans ce cheminement, et ces changements ne sont pas sans conséquences sur notre engagement en tant qu’’être humain.

Là ça donne envie !
C’est une invitation à passer sur l’autre rive, c’est une attraction céleste. Tu ne t’y imposes pas, tu y es invité et attendu.
Si tu veux sortir des limites que cette vie t’impose, si tu veux goûter l’éveil et la vraie liberté, deviens qui tu es (sinon reste ce que tu hais).

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(1) Signification littérale de lekh lekha (pour un homme ; pour une femme, cela serait lekhi lakh).
(2) Rachi traduit l’expression lekh lekha par « va pour toi’, Il la commente par ces mots : Lahanaatekha ou letovatekha, pour ta jouissance et pour ton bien.
(3) Genèse 17, 5 ; Genèse 32, 28 ; Marc 3, 16; Actes 13, 9.
(4) Pindare, IIème Pythique, v.72.
(5) Platon, on trouve ces mots (attribués à Socrate) dans ces Dialogues : CharmidePhilèbe et le Premier Alcibiade.
(6) 1ère Épître de Paul aux Corinthiens 2, 11.
(7) Livre des Proverbes, 20, 27, traduction littérale d’après les notes de J.N. Darby.
(8) Épître de Paul aux Colossiens, 1, 27.
(9) Épître de Paul aux Colossiens, 2, 2-3.
(10) 2de Épître de Paul aux Corinthiens, 5, 19.
(11) Épître de Paul aux Colossiens 3, 3.
(12) Épître de Paul aux Éphésiens, 1, 10. Ce sont tous les sens du verbe anakephalaiomai, et cela concerne tout l’univers, le neutre pluriel, ta panta, ne pouvant pas se restreindre aux créatures intelligentes et incluant : Les vivants et les morts, l’animé et l’inanimé, le minéral, le végétal, l’animal et l’humain, le microcosme et le macrocosme, la matière et le subtil, le physique et le spirituel.
(13) Terme de prédilection d’André Chouraqui pour traduire le mot « connaissance » dans sa traduction de Bible.

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Cet article a 15 commentaires

  1. Ludovic Auphand

    Superbe mise en perspective de l’intériorité. Quand je lis la Bible j’ai parfois l’impression de lire des évidences maintenant. Des passages de Paul impossibles à comprendre avant, maintenant je me dis « ben oui, c’est évident mec ». L’évangile, la bonne nouvelle? Christ, l’Esprit Saint, tout cela a pris une nouvelle saveur. J’aimerais avec ton accord, mettre en vidéo ce petit dialogue. Je mettrai en description les liens vers les 4 parties de la « série ».

    1. Paddy

      Merci pour le retour, tu as mon accord, oui c’est important de mettre les liens sinon il y a risque de passer à côté.

    2. Coline

      Merci pour ce partage,
      J’ai tout de suite pensé à un penseur/ poète Rûmi du 13eme siècle, je ne sais pas si tu le connais je te partage en retour deux citations :

      -« Tout l’univers est contenu dans un seul être humain : toi.
      Tout ce que tu vois autour de toi, y compris les choses que tu n’aimes guère, y compris les gens que tu méprises ou détestes, est présent en toi à divers degrés.
      Ne cherche donc pas non plus chaytan [satan] hors de toi. Le diable n’est pas une force extraordinaire qui t’attaque du dehors. C’est une voix ordinaire en toi.
      Si tu parviens à te connaître totalement, si tu peux affronter honnêtement et durement à la fois tes côtés sombres et tes côtés lumineux, tu arriveras à une forme suprême de conscience.
      Quand une personne se connaît, elle connaît Dieu.

      – « Tout est Un, la vague et la perle, la mer et la pierre. Rien de ce qui existe en ce monde n’est en dehors de toi. Cherche bien en toi-même ce que tu veux être puisque tu es tout. L’histoire entière du monde sommeille en chacun de nous.

      Djalâl-ud-Dîn Rûmî »

      Bien à toi,

      Coline

      1. Paddy

        Merci pour ces deux citations qui sont en osmose avec cet article. Oui je connais Rûmi, j’ai plusieurs livres de lui et je l’ai déjà cité sur ce site.
        Merci

  2. Ludovic Auphand

    Ces derniers temps, je regarde un peu les liens de « l’intérieur » dans les différentes religions, cultures ou spiritualités au sens large. J’ai découvert tout d’abord une superbe citation d’une mystiques musulmane, Rabia al Adawiyya « Je vais pour incendier le paradis et noyer l’enfer, en sorte que ces deux voiles disparaissent complètement devant les yeux des pèlerins et que le but leur soit connu, et que les serviteurs de Dieu le puissent voir, lui, sans objet d’espoir ni motif de crainte. Qu’en serait-il, si l’espoir du paradis et la crainte de l’enfer n’existaient pas ? Hélas, personne ne voudrait adorer son Seigneur, ou lui obéir ! »
    Et un homme reconnu à la fois par les musulmans et les hindous, Shirdi Sai Baba qui a prononcé ces paroles: « Allez partout où il vous plaira, faites tout ce que vous aimez faire, mais souvenez-vous bien de ceci : je sais tout ce que vous faites. Je suis le guide intérieur de tous les êtres et je demeure dans vos cœurs. J’enveloppe toutes les créatures, le monde mobile et immobile. Je suis le contrôleur, celui qui tire les ficelles du spectacle de cet univers. Je suis la Mère, l’origine de tous les êtres, l’Harmonie des trois gunas (tendances ou qualités qui gouvernent le monde), le Propulseur des sens, le Créateur, le Conservateur et le Destructeur. Rien ne fera de mal à celui qui porte son attention sur moi, mais māyā (l’illusion) fouettera celui qui m’oublie. Les insectes, les fourmis, le monde visible, mobile et immobile, tout cela est mon corps, ma forme. »
    « Le ciel est nuageux. Il va pleuvoir. Alors la récolte sera mûre et les nuages se disperseront. Pourquoi s’inquiéter ? » (Le ciel nuageux est l’état d’ignorance, la pluie est le don de Dieu qui fait mûrir la récolte. La dispersion des nuages permet au ciel de se dévoiler et de laisser apparaître la réalité divine)
    « Je donne à mes disciples ce qu’ils désirent, alors ils commencent à désirer ce que je veux leur donner. »
    « Je suis vous, vous êtes moi. Il n’y a aucune différence entre vous et moi. Ce qui vous constitue, me constitue. »
    « Qui sommes-nous ? Nuit et jour réfléchissez-y. »
    « Tous les dieux sont Un. Il n’y a pas de différence entre un hindou et un musulman. Une mosquée et un temple sont identiques. »
    « Vous devez regarder à l’intérieur de vous, là où se trouve le Maître, le Guru. »

    Désolé si ce type de références hors Bible et hors Christianisme choquent, mais il y a clairement des liens, des croisements, des points de regroupements chez des des femmes et des hommes qui cherchent au delà des religions, des croyances, quand bien même le résultat de leur découverte reste emprunt de leur tradition.

    1. Paddy

      Super j’aime les citations, et là j’en ai découvert que je ne connaissais pas, merci

  3. Graine

    Salut,

    Un vrai dialogue à l’ancienne c’est génial. Je me suis même retrouvé dans une question: « c’est qui « toi »  » ?

    L’amateur de philosophie que je suis se doit d’apporter une précision sur Nietzsche.

    Son idée de « sur-homme » est très souvent mal comprise. En allemand « übermensch » (traduit par « sur-homme ») veut plutôt signifier « ce qui est au-dessus de l’homme ». Nietzsche parle donc d’un nouvel homme et invite à entrer dans une nouvelle humanité libérée de l’humanité actuelle qui juge et détruit la vie et s’attache à des idoles.

    Ainsi, contrairement à une croyance répandue, Nietzsche est bien plus « christique » qu’il en a l’air! Il critique certes la morale chrétienne mais jamais Jésus. Un spécialiste et traducteur remarquable de Nietzsche (Eric Blondel) l’a très bien expliqué dans son livre » Nietzsche, le 5ème évangile ? » et dans la préface de sa traduction sur « Der Antichrist » qui en allemand ne veut pas dire « antichrist » mais « antichrétien » ou anté-christ » ! En allemand c’est « Widerchrist » (adversaire du Christ) qui traduit « antichrist ». Nietzsche vise et attaque donc les chrétiens qui ont le nom mais sont avant (ante) le Christ. En général, les personnes qui ne connaissent pas l’allemand comprenne le contraire de ce que Nietzsche a voulu signifier…

    En définitive, sous cet angle la pensée de Nietzsche s’accorde bien « avec deviens qui tu es ». On pourrait dire : tu n’es encore qu’un homme, tu n’es pas Homme tu dois le devenir, détache-toi de ton identité morale et sociale et deviens celui que tu as toujours été, un Homme véritablement humain et donc « au-delà » de l’homme actuel.

    Il n’y a qu’un pas pour dire que ce nouvel Homme, c’est Christ et la boucle est (presque) bouclée ! 😉

    1. Paddy

      Merci pour ces précieuses précisions qui permettent d’avoir du relief, toujours un plaisir de te lire.
      D’autres dialogues viendront 😉

  4. Sylvie Jacquot

    Cc patrick.seb vient de m expliquer comment faire pour te laisser un message.merci de tout ce que tu nous as partage pdt notre séminaire.j aurais bien aime te parler mais je comprends que tu ne puisses pas parler a tous…helas.
    Nous venons de vivre séjours avec sens et Nadia.c etait du bonheur…grâce a toi et Lydia.merci merci.bonne continuation petit frère.

  5. Yvon Buchmann

    Bonjour Paddy,
    Je viens de terminer la lecture d’un livre d’une dame extraordinaire que tu connais probablement, Annick de Souzenelle, et dont le titre est « Va vers toi ». Excellentissime ! 🙂 J’en viens à me demander : qui a copié l’autre ? 🙂 En tout cas, pour ceux qui ont encore un doute sur l’intériorité, lisez-le ! Mais c’est assez costaud comme lecture.
    https://www.arigah.com

    1. Paddy

      Qui a copié l’autre? A part l’expression Lekh Lekha il n’y a pas beaucoup de point commun entre son livre et ce que je développe sur ce sujet. Le livre d’Annick de Souzenelle est surement super mais je n’ai pas réussi à le finir, trop costaud pour moi au niveau lecture. Perso je sais où j’ai copié l’expression Lekh Lekha, dans la Genèse (2fois), je pense que je suis parti du même point de départ que tous ceux qui écrivent sur le sujet, je ne prétend pas avoir inventé cette expression, elle est là depuis des siècles ! 😉 En tout cas content que ce thème vous aie touché.

      1. Yvon Buchmann

        Cher Paddy,

        C’était un clin d’oeil, mon intention n’était surtout pas de blesser. Pardon si c’est le cas.

        1. Paddy

          Ce n’est pas du tout le cas. Ma réponse aussi était un clin d’oeil avec en filigrane : il y a « mille et une façons » de développer un thème.

  6. Lily S.

    Bonjour,

    Pourrais- je emprunter une partie de ce dialogue? Je le trouve magnifique ? Evidemment en citant la source.

    1. Paddy

      Bien sûr. Merci de votre intérêt